J’ai vu…
J’ai vu Fabrice Lucchini chez Delahousse. L’interviewé se faire interviewer. Une bibliothèque vivante interpeller nos gouvernants actuels : « Il n’y a qu’une seule passion qui doit vous habiter : nourrissez-vous de littérature ! Nourrissez-vous de ces génies que sont Flaubert, La Fontaine ! Vous ne pourrez pas affronter la compétition du monde si vous ne comprenez pas que nous partons d’un point unique ! Nous avons une littérature de génie, de Molière à La Fontaine, de Flaubert à Céline. Lisez, allez voir des films littéraires ! Amusez-vous, pas dans les « jeux de vérité », pas dans les confidences hasardeuses, amusez-vous ! ». J’ai vu une parole libérée de toute forme de préséance prendre le contrôle d’un créneau hyper-formaté habituellement cornaqué par un animateur gourou. J’ai vu ce vagabond idéologique, libre de surfer aussi sur tous les registres de notre langue y compris le plus cru, gratifier un média populaire de grande écoute de dix minutes de pure intelligence. J’ai vu la culture et les « humanités » brièvement revivifiés.
J’ai vu un croate du nom de Goran, sur l’émission Thalassa (Croatie, une autre Méditerranée), raconter qu’il avait dit non aux 3 millions d’Euros que lui proposait un promoteur pour sa terre. Au fond d’une des plus jolies baies de l’Adriatique, un petit bout de paradis très convoité et une vie simple rythmée par l’activité du bateau-épicerie, un peu d’agriculture et l’accueil des touristes. Un visage buriné, encadré par de longs cheveux et une barbe d’argent. Un Robinson farouchement attaché à sa liberté de vivre sa vie comme la vivait déjà son propre père ici : « Que ferais-je de 3 millions d’Euros ? J’irais en face, m’enfermer dans un appartement ? Je m’achèterai un zodiac et viendrai ici en touriste ? » J’ai vu l’extrême émotion de cet homme vrai à cette seule pensée. J’ai vu l’argent tout puissant se prendre un méchant vent…
J’ai vu ces jeunes skateurs niçois dévaler joyeusement l’avenue en-dessous de mon balcon. Pratiquer leur sport malgré l’injuste harcèlement de la police niçoise qui interdit en ville ce mode de transport doux, et malgré la pression récurrente de la délinquance locale. Oser prendre sa planche, rouler dans la rue, arpenter sa ville avec la même fraicheur juvénile, avec le même enthousiasme jamais altéré par le peu de bienveillance dont fait preuve cette ville définitivement has been sur bien des sujets. J’ai vu l’audace éternelle de la jeunesse, contre vents et marées…
J’ai vu un homme éteindre désormais son ordinateur en fin d’après-midi. Et ne plus le rallumer avant le lendemain… Un homme dont ce même ordinateur est outil de travail indispensable, également modeste mais régulier contributeur sur la blogosphère, croisant sur les réseaux sociaux les plus divers. Débrancher mais ne pas couper. Juste moins de post, moins de tweet, moins de partages… J’ai vu un blogueur revenir à ce qu’il considère comme le sel de sa vie : contempler, observer, écrire ou dessiner à une terrasse de café, méditer en plein cœur de la forêt, donner du temps aux gens… Donner du temps à l’écoute de personnes faites de chair, d’os et d’émotions à portée de regard…
J’ai vu, une fin d’après-midi, cet espace de ciel bleu, longtemps au-dessus de la colline en face. Cerné par toutes les ombres du ciel, par une épaisse masse de nuages sombres. Un espace immobile de clarté offrant un ultime passage à la lumière déclinante du soleil.
J’ai vu de brefs espaces de liberté, ici et là.
J’ai vu que cette liberté était plus que jamais le seul phare de ma vie…