ON / OFF

Adriana, 6 and her mother Maria try out a Samsung product at Westfield in west London

Te connecter tu dois !

Au fond, nos vies aujourd’hui sont-elles vraiment beaucoup plus compliquées que celles de nos aïeux ? Pas si sûr, tant il apparaît qu’elles semblent régies par une logique binaire d’interrupteur : en 2013, on est connecté ou on ne l’est pas.

Sûr que ce sujet-là ne pouvait être indéfiniment ignoré sur ce blog-là. Car quand on voit ce qu’on voit et qu’on lit ce qu’on lit, on a clairement raison de poster ce qu’on poste. Ce n’est pas plus une vue de l’esprit que le réchauffement climatique, le peuple est aujourd’hui sous l’emprise d’un opium terriblement accessible : la connexion non-stop. L’accessibilité n’a jamais été aussi accessible ? Une histoire sans faim…

Ce qu’on voit ? Dans les bus, les cafés, les bureaux, les autos… Une humanité toute entière concentrée sur de petits, moyens et grands écrans (segmenter pour mieux régner), absorbée par de passionnants échanges (« je ramène du pain ? »), affairée à traiter, trier, vider des méga, des giga, des terra d’infos.

Ce qu’on lit ? Sur Rue89 par exemple que « cette addiction quasi-physique a une première conséquence : la journée est vite consommée ». Avant, ramener du boulot à la maison était principalement une habitude de cadre sup. C’est désormais, une pratique banalisée à tous les échelons de la hiérarchie. Comme il devient compliqué de réfléchir au bureau, on travaille chez soi le soir : « avec les nouvelles technologies, le fait d’emporter du travail à la maison se diffuse chez la plupart des salariés qui travaillent dans un bureau. » Certes, beaucoup arrivent ainsi à louvoyer apparemment sans stress entre sphère privée et professionnelle. Il n’empêche.

Il existe bel et bien aujourd’hui une « injonction de connexion ». Qu’elle relève d’une exigence explicite de l’employeur ou d’un besoin intégré de consommateur, cette addiction d’un nouveau genre exige de nous la connexion n’importe où n’importe quand.

L’Académie des Sciences vient de publier un rapport qui nous explique que les écrans interactifs seraient une chance pour les enfants, car permettant d’accroître les possibilités du cerveau. Ce, à condition d’un apprentissage dès la maternelle ! Comme on pouvait s’en douter, des lobbys sont déjà à l’œuvre pour nous faire avaler que la peur des écrans est pure parano : les écrans, les nouvelles technologies, c’est bon pour la créativité de nos jeunes ma bonne dame ! Il est probable. Je constate effectivement cela en direct chez moi tous les jours. Ce qui pose problème, surtout aux plus jeunes âges, surtout avec cette sacrée génération Z qui n’a pas fini de nous surprendre et que les sociologues sont loin d’avoir véritablement circonscris, ce sont les débordements, l’inexorable et insidieuse pente vers la geekitude…

Bref, en ce qui me concerne, je n’ai pas attendu le dernier sondage Ifop pour Psychologies Magazine pour réagir. Celui-ci nous apprend quand même que 59% des français se déclarent dépendants de leurs outils numériques (ordinateur, smartphone, tablette), chiffre qui monte à 74% chez les moins de 35 ans. Par ailleurs 71% estiment que ces différents outils nuisent à la qualité des relations humaines. Bon, 83% estiment réussir encore à se fixer des limites dans leur utilisation. Toute la question est là.

Voilà pourquoi, je n’ai pas attendu ce sondage au demeurant fort intéressant, pour me fixer des limites sans faire dans le technophobe. Il m’a juste suffit d’observer, de partir du vécu, y compris en tant que père.

J’ai décidé de savoir, à des moments choisis, débrancher mentalement de cette force puissante qui nous fait désormais graviter autour de nos écrans à l’insu de notre plein gré. Oui, j’ai peut-être raté une info qui tue, un mail de fou. Ou pas.

Créateur et administrateur de site CMS, community manager, blogueur… Ces nouvelles orientations de mon métier premier de journaliste et créatif publicitaire, m’imposent en effet plus que jamais la vigilance.

Voilà pourquoi, chers blogueurs que je « follow » avec plaisir, je serai parfois aux abonnés absents. Cela ne remet pas en question mon intérêt pour vos publications. Voilà pourquoi chers habitués du présent blog, il pourra arriver que je saute un tour (je publie pour l’heure à raison d’un post hebdomadaire). Cela ne remet nullement en question mon projet « Sans Adjectif ». Voilà pourquoi ni Facebook ni Tweeter ne sont des rendez-vous incontournables de mes journées.

Tous écrans éteints, je suis peut-être juste en train de lire un livre avec des pages en papier, de marcher sur un chemin qui va crotter mes bottes, ou de boire un verre avec des êtres humains sans avatars.

Vous l’avez compris : je ne veux pas d’écran entre la vraie vie et moi. Ou alors, juste la portion congrue. Pomme Q…

Crédit photo : Olivia Harris / Reuters

Publié par

stephanerobinson

French journalist and copywriter living in Nice (France).

16 réflexions au sujet de “ON / OFF”

    1. Oui, j’ai repéré en librairie effectivement cette « expérience » typique de notre siècle. Aujourd’hui, le challenge n’est plus de faire comme Thoreau (Walden, ou la vie dans les bois) ou comme dans « Into the wild » : oser la grande immersion dans la nature sans les béquilles du confort. Non, aujourd’hui, il s’agit de réussir à vivre sans les outils numériques. Non pas vivre sans électricité ni eau courante, mais sans connexion. Non pas se rapprocher de la nature, mais fuir le virtuel. ça en dit long sur le niveau actuel de nos idéaux, non ?

      1. Bonjour,

        Je m’aperçois avec stupréfaction que j’ai oublié d’approuver ce commentaire ! Mille excuses ! Comme vous l’avez certainement remarqué, je boxe plutôt en catégorie blogueur-poète, ce que confirme mon tout dernier post No Screen Day. Par contre, pour votre commentaire, c’est vraiment un oubli d’autant plus préjudiciable que le site que vous me recommandez offre effectivement un prolongement très concret à ma passion pour Walden et autres expériences de solitude volontaire. Mille excuses encore une fois, et surtout merci de m’avoir fait connaître ce site que je bascule sans plus tarder dans mon Blogroll. A bientôt j’espère sur ce blog malgré cet impair 😉

  1. Ceux qui s’interrogent sur le sens de l’histoire et la liberté de l’être face au néant diront peut être que c’était prévu et inéluctable.
    L’être humain allait inventer une machine dans laquelle il cumulerait toutes les intelligences et cette dernière le surpasserait forcément. Nous vivons cette course entre l’homme et la machine depuis que le servage a pris fin.
    La machine a t-elle déjà prévu à son avantage l’effondrement du système monétaire international et de l’Ancien monde ? Sans doute : une simple arithmétique vérifie la certitude de cette prévision.
    Rassurons-nous cependant, l’être humain triomphera toujours de la machine, parce que celle-ci ne peut être scientifique. L’être humain demeure libre. Selon une loi très juste énoncée par Lord Maynard Keynes: « Ce qui arrive en fin de compte, ce n’est pas l’inévitable mais l’imprévisible ».
    Inch Allah !

    1. Merci cher Alain pour vos commentaires toujours aussi savoureux et éclairés. Si vous le voulez bien, je me permettrai de placer votre dernière citation en prochaine phrase de la semaine, laquelle me renvoie à cette pratique zen que j’ai déjà eu à citer sur ce blog : « lâcher-prise signifie l’acceptation de la vie en tant que vie, c’est-à-dire : insaisissable, libre, spontanée et illimitée. »

      1. Même libre, l’être humain est dans un ensemble plus vaste, qui lui échappe. Lâcher prise est l’ultime doctrine, comme le pardon, le comportement le plus sage, de l’être qui ne comprend pas et, pourtant, a décidé de rester confiant.

    1. Bonjour Sophie : plus de précisions peut-être sur le raccord entre ce post cette image sujette à pas mal d’interprétations ? Les 3 singes de la sagesse ou de l’indifférence ? Bise.

  2. Merci pour ce brillant plaidoyer sur la sagesse du ON/OFF. On n’en finit pas à travers cette question de redéfinir ce qu’il faut faire de cette réalité parallèle en passe de devenir parfois plus exaltante ou plus absorbante que la « vraie ». On peut aussi effectivement se demander ce que cela change durablement ou pas dans nos relations, réelles/concrètes et numériques/virtuelles… ce que j’ai appelé le paradoxe de la moderne solitude :
    http://voustombezpile.wordpress.com/2012/06/07/le-paradoxe-de-la-moderne-solitude/

    1. Bien vu le post du lien ci-dessus, et le concept de « paradoxe du trop fort potentiel « . Vous touchez là du doigt un sujet sur lequel ce blog dédié à la liberté avait prévu un jour de se pencher : cette écrasante angoisse de pas pouvoir tout embrasser d’une seule vie. Et qui pourrait nous paralyser, nous enfermer, quand le choix est censé nous libérer. Oui, mais là on est dans le diktat de l’hyper-choix. Votre post me renvoie du coup à la ballade de Souchon… « C’est ultra-moderne… solitude ». Et sinon, merci pour la réponse à mon dernier commentaire sur votre propre blog et la pub assortie. Pour ma part, je suis vraiment fan de votre style. Vraiment de chez vraiment. Il n’y a pas un livre qui se prépare derrière tant de talent ?

Laisser un commentaire