les mots vivants

« Prendre congé » avec Pablo Neruda…

Samedi 13 mai 2017, un début d’après-midi sans entrain à mon bureau à Nice. Le magazine que j’ai créé se cherche un second souffle. Et puis, ces élections présidentielles insupportablement triviales. Pour avoir pris des positions fortes quant aux abstentionnistes du second tour, des « amis » se sont même retiré de mon réseau FB au terme de débats usants. Et puis à 13h07, ce message en MP (Message Privé pour les non-initiés) : « cher Stéphane, si ça te dit, à 15h, je donne une lecture de poèmes de Neruda, à l’auditorium de la BMVR. Bien à toi. » Mais oui, c’est bien de ça dont j’ai besoin nom de Zeus ! De Poésie ! Loin de tous ces engagements éreintants, vains peut-être même, loin de cette vulgarité qu’est la politique politicienne. Je décide de prendre congé de mes obligations du jour…

Une heure de lecture plus tard, c’est très remué, la gorge serrée, que je m’approche d’Alexandre Bourgoin, auteur de ce MP et Président de l’association Des Mains, Des Voix, des Chemins pour le remercier de m’avoir ainsi détourné de la compta de ma petite entreprise. En une heure seulement et par le biais d’une scénarisation captivante, c’est la dimension la plus complète du poète chilien qui m’est permis d’appréhender conformément au projet de lecture : « Terres amérindiennes, peuples, femmes, les chemins de Pablo Neruda sont ceux de l’amour, amour d’une langue que son écriture va labourer, retourner, aérer pour la porter jusqu’aux rivages de la lumière. »

Trois lecteurs et un musicien en quête de résonance : le poète Alain Freixe, Marie-Jo Freixe, Alexandre Bourgoin et Jean-Wolfe Rosanis, au piano. Alexandre m’explique plus avant la démarche de son association créée il y a trois ans, précisément à partir du nom de cette dernière : « son but général est d’aller de ces mains qui écrivent à ces voix qui sortent des bouches et qui oralisent pour ouvrir des chemins comme autant d’interprétations. Un de ses objectifs est de mêler hier à aujourd’hui, la parole qui commente à celle qui dit et/ou chante, de revisiter le « patrimoine », mais aussi de donner à entendre les poètes d’aujourd’hui, soit par le truchement d’un comédien, soit par les auteurs eux-mêmes. » Pour ceux que cela intéresse localement, notez que l’association se produit au Centre Culturel de la Providence à Nice, à raison d’une mise en espace tous les deux mois. Touché par ce rapport fusionnel à une Nature si propre au Chili, remué par le feu de la guerre d’Espagne autant que par le fer des Conquistadors, la double dimension de cet homme, poète voyant et diplomate engagé me renvoie ce samedi-là à ma propre ambivalence entre deux voies. Bien plus modestement, il va sans dire.

J’ai en effet pris localement des positions franches que l’ont peut éventuellement qualifier de « politiques », et pas seulement via les différents édito de mes magazines. D’un autre côté, rien ne me plaît tant que la libre contemplation du monde, ou bien la création sans autre enjeu que celui de se sentir « relié », en communion. Tantôt simple observateur, tantôt impénitent chahuteur. Amateur de silence autant que de Verbe. Parfois, des amis me titillent : bon, tu te présentes quand ? Nous rions de cela, mais au fond de moi, je dois bien confesser y avoir déjà pensé. Agir, peser, être efficace à quelque chose… Mais quoi, quel engagement politique ? Cette empoignade permanente en stériles querelles partisanes ? Adopter jusqu’à la plus insigne mauvaise foi les éléments de langage et les dogmes en dépit des évidences criantes et des réalités patentes ? Je ne vois que vulgarité dans l’essentiel de ce que l’on veut bien nous présenter comme « engagement politique ». A commencer par celle du renoncement à l’amour-propre le plus élémentaire. Parole donnée reniée à tout bout de champ, manœuvres grossières d’intrigants, jeux de séduction et sophismes à tous les étages…Désolé Mr Platon, mais passablement sceptique quant à la République des philosophes… J’ai vu un certain Luc Ferry à l’oeuvre, ça m’a suffit. Quel Président-Philosophe sera Macron ? J’aimerais tellement être surpris en bien !

Aujourd’hui, à 10h33, cet autre MP sur ma page Facebook. Pas du tout le même genre de MP. Plutôt une non-invitation. Une élue azuréenne m’explique qu’elle m’a retiré de sa liste d’amis à cause des propos que j’ai tenu sur un ex-élu local qui lui est cher, et que je trouve particulièrement condescendant dans ses analyses. Chantre de la gauche gouvernementale par opposition à une mouvance qui, elle, évidemment ne souhaiterait pas gouverner, une gauche pour adolescents en mal de rébellion, de fronde, il distribue les bons points et les bonnets d’âne de façon très politiquement correct. Très professorale pour être précis. Sa prose à lui serait dans la nuance… Comment être dupe de cela ? Là est certainement le frein pour moi vers cette « politique des carriéristes » : eux s’appliquent à user d’un langage policé pour exprimer des avis tranchés. Ils excellent à rendre présentable ce qui relève bien souvent de jugements acerbes et définitifs. La violence affleure en permanence sous la syntaxe éduquée. C’est précisément ce que je trouve vulgaire dans cette politique politicienne, qui noie dans la technicité la pauvreté de son idéal. Lequel reste pour l’essentiel celui d’un fauteuil. Et de sa rente associée. Il n’est qu’à voir les pitoyables manœuvres actuelles pour la gamelle, alors que commence le bal des prétendants depuis l’avènement du Prince Macron. Véritable homme à poigne, qu’on ne s’y trompe pas !

Alors, là tout à coup, il me prend l’envie, moi aussi, Mr Neruda, de m’en retourner à ma Patagonie à moi. Laissons les puissants jouir de leur puissance, jouissance qu’ils nous présentent comme abnégation et service. Oui, comme un certain Jean Echenoz, l’envie me travaille depuis toutes ces semaines de spectacle médiatico-politique affligeant de dire moi aussi : «  Je m’en vais ». Pour vous donc, ce texte qui venait clôturer cette lecture d’un samedi après-midi sur la Terre. Merci infiniment Alexandre pour ce moment. Qui a nourri mon âme. Et spécial dédicace au passage à ma mère, poétesse et conteuse qui m’a appris à aimer et honorer les mots vivants…

 

Je prends congé, je rentre
chez moi, dans mes rêves,
je retourne en Patagonie
où le vent frappe les étables
où l’océan disperse la glace.
Je ne suis qu’un poète
et je vous aime tous,
je vais errant par le monde que j’aime :

dans ma patrie
on emprisonne les mineurs
et le soldat commande au juge.
Mais j’aime, moi, jusqu’aux racines
de mon petit pays si froid.
Si je devais mourir cent fois,
c’est là que je voudrais mourir
et si je devais naître cent fois
c’est là aussi que je veux naître
près de l’araucaria sauvage,
des bourrasques du vent du sud
et des cloches depuis peu acquises.

Qu’aucun de vous ne pense à moi.
Pensons plutôt à toute la terre,
frappons amoureusement sur la table.
Je ne veux pas revoir le sang
imbiber le pain, les haricots noirs,
la musique: je veux que viennent
avec moi le mineur, la fillette,
l’avocat, le marin
et le fabricant de poupées,
Que nous allions au cinéma,
que nous sortions
boire le plus rouge des vins.

Je ne suis rien venu résoudre.

Je suis venu ici chanter
je suis venu
afin que tu chantes avec moi.

Pablo Neruda (Chant Général)

réveeeeeeeil !

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Festival Réveillons-nous : le TNN, creuset de transition

Samedi 5 décembre 2015, Nice. Pluie fine, état d’urgence plombant. Veille d’élection à fort pouvoir anxiogène. Encéphalogramme plat sur les réseaux sociaux sur tout ce qui ne concerne pas le FN ou l’EI. Qu’à cela ne tienne, au Théâtre National de Nice, le Festival Réveillons-nous poursuit dans cette apathie généralisée sa mission d’aiguillon culturel au « Pays des paradoxes », formule qui revient au bi-mensuel culturel LA STRADA (« L’essentiel de la culture au pays des paradoxes »). Justement, pour ce deuxième week-end du festival, c’est au journal de Michel Sajn qu’Irina Brook a confié les clés de la maison, puisque c’est comme cela que les gens de théâtre désignent leur lieu de travail. La Strada a donc proposé deux journées collaboratives les 4 et 5 décembre avec comme objectif de « faire partager de manière la plus festive et démonstrative des solutions locales existantes et démontrant qu’une alternative est possible. » Alternatiba 06 était bien évidemment à l’honneur dans cette grande oecuménie fédérant les créatifs culturels de tous horizons. J’avais décidé de passer la journée du 5 décembre dans cette maison qui s’emploie avec courage à faire tomber symboliquement ses hauts et froids murs de carrare.

10h30, salle Michel Simon. Café-débat associant Gilles-Eric Séralini, Jean-Pierre Blanc et Jean Montagard. Le premier est le chercheur et lanceur d’alerte qui a publié l’étude la plus citée au monde sur les effets d’un OGM et d’un pesticide sur la santé : Tous cobayes ! Le second est le Directeur-Général des cafés Malongo, pionnier du commerce équitable en France. Le troisième, disciple d’Auguste Escoffier et grand cordon d’or de la cuisine française, promeut la cuisine végétarienne à son meilleur niveau gastronomique, via notamment son restaurant de Menton. Petits guéridons, jolies chaises de bistrots, percolateur pro… La scène du petit amphithéâtre se transforme le temps d’une non-représentation en café de village où, contrairement au garçon de café d’un certain Sartre, personne ne joue à être autre chose que lui-même. Tel est le pari d’un « théâtre utile » selon Irina Brook : installer l’engagement authentique sous les feux de la rampe. Très disert et dans un agréable esprit de vulgarisation non dénué d’humour, Gilles-Eric Séralini brosse un rapide tableau de ce que sont réellement les pesticides, entre autres comme funeste recyclage du fameux Zyclon B qui fut utilisé dans les camps de concentration nazis. De fait, les pesticides sont ainsi « les seuls produits volontairement toxiques, volontairement répandus en temps de paix. » Dans la salle une question : « Au moyen-âge, le choléra et la peste ont décimé des millions de gens quand toute l’agriculture était bio ! ». Le scientifique ne se démonte pas. Pas question de nier les apports d’un Pasteur et autres progrès, non seulement de la médecine, mais de l’hygiène : « Après l’hygiène microbienne, il est temps de mettre en place l’hygiène chimique » explique-t-il. Et la première des solutions actuelles c’est la transparence.
Car le consommateur est placé entre deux confidentialités : celle du produit (les industriels) et celle des analyses (les agences). C’est en ce sens qu’il nous invite toutes affaires cessantes à venir signer les deux pétitions disponibles sur le site internet Bio consomacteurs en Provence. Au pied des travées, le jeu reprend quand même ses droits dans son espace naturel. Renato Giuliani, metteur en scène et comédien, bras droit d’Irina Brook, s’improvise en avocat du diable, défenseur de causes indéfendables en 2015 : « Oui, mais le pétrole c’est naturel quand même ! ». Au fond de la scène, des fruits bios ont été amenés par le chef Jean Montagard. Ils voisinent les pommes à pesticides expressément achetées pour un petit jeu de comparaison de goût associant toute la salle. Mimant la sorcière de Blanche-Neige, Renato Giuliani s’approche d’une femme attablée, une belle pomme bien rouge et bien brillante à la main : « tenez ma belle, goûtez ma pomme ! ». Cela me renvoie je ne sais pas pourquoi au « Mangez des pommes ! » de la campagne de Chirac en 1995. Ah ben oui, c’est vrai, on vote ce dimanche. Un bien beau scrutin entre pommes empoisonnées et pommes véreuses…

Le temps de saisir un brownie que me tend Irina Brook qui, son plateau à la main, assure aussi le service en salle sans jouer au garçon de café, mais en authentique initiatrice d’une expérience inédite dans l’un des plus grands CDN de France, et voilà que je dois vite me téléporter à la première table-ronde animée par Michel Sajn : « La presse alternative et collaborative » qui associe La strada, Nice-Matin et la radio libre Agora Côte d’Azur. Pour avoir un peu traîné au café des rebelles gourmands, j’arrive malheureusement sur la fin. Juste le temps d’entendre cette conclusion quant au formatage de l’information et aux soit-disant idéaux d’une presse neutre. Elle émane d’un journaliste de L’Humanité : « L’information n’est pas une matière neutre, c’est une matière politique. » J’acquiesce intérieurement, tant la ligne éditoriale du magazine que je viens de créer entend se placer autour d’une approche engagée, « politique » donc au sens le plus étymologique du terme.

Le temps de méditer cela bien installé dans un des fauteuils rouges de la salle Pierre Brasseur, et voilà que soudain le rideau de la grande salle se lève. Je fais partie des rares visiteurs du jour qui auront donc assisté au lever de rideau révélant l’improbable scénographie de la tête d’affiche du jour : ALTERNATIBA 06. Occupant l’intégralité du plateau, les stands sont déjà en pleine effervescence. Je reste un moment rêveur. Pour avoir participé au village des alternatives à Mouans-Sartoux le 17 octobre dernier, cette perspective théâtrale inédite me prend de court. Une histoire est en train de s’écrire là sous nos yeux. Sauf que le pitch de cette pièce-là n’a rien d’une fiction, ni rien d’anodin : la chute de l’histoire, comme le rappelle le film Demain, en salle depuis deux jours, peut être tragique pour les spectateurs. Comme pour les acteurs malheureusement. Allez, je me secoue et grimpe moi aussi sur les planches. Un stand accueille les médias alternatifs, dont le dernier né azuréen qu’est notre Ressources.

Je rate du coup la table-ronde « Mouvements citoyens » (Alternatiba, La Bosnie, Les Indiens Hopis), mais peut assister à celle programmée en fin d’après-midi. « Cultures collaboratives » présente des expériences qui sont autant de réussites à l’aune du collaboratif : Mouans-Sartoux, Coaraze, l’AMACCA de Breil-sur-Roya, Nice in Nice, Market Zone, Heliotrope, le cinéma de Beaulieu, La Coopérative. Difficile de résumer ici les expériences de chacun, mais le mot de Marie-Louise Gourdon, Première-adjointe de Mouans Sartoux et cofondatrice du Festival du Livre, me semble important à la veille de ces élections aux accents de « tous pourris » : «  J’ai un peu de mal avec cette expression : « les politiques ». Il est bien quand même de ne pas faire de confusion totale entre des politiques détestables et des élus qui travaillent. Essayons de faire la part des choses ». Les propos de Monique Giraud-Lazzari, maire de Coaraze, estampillé « village des gaulois » pour avoir réussi à ne pas se faire phagocyter par la Métropole Nice Côte d’Azur, lui font écho : « si on veut vivre sa vie de maire le plus tranquillement, le plus normalement devrais-je dire, c’est possible et très facile. C’est une option routinière. Sinon, c’est une fonction où il est aussi possible de s’engager. Et ici, à Coaraze, ça peut être très fatiguant : ils ont mille idées à la minute ! ».

18h30. Je remonte sur le grand plateau d’Alternatiba récupérer mes magazines. Certains exposants sont déçus, voir amers : peu de gens ont fait le chemin vers la grande scène où se racontaient les mille et une histoires bien réelles de la « transition ». Beaucoup restent positifs, tel Jacques Decams, correspondant 06 de la NEF (Nouvelle Économie Fraternelle) : « Ça contribue quand même à densifier le réseau. » Avec Elise, une bénévole Alternatiba qui s’est efficacement occupé du stand des journaux et magazines alternatifs, nous évoquons ce concept de Créatifs Culturels, communauté socio-culturelle identifiée en 2000 par un sociologue et une psychologue américains, que peu de gens connaissent en France. Ressources en parlera prochainement. En tout état de cause, nous évoquons ensemble la mauvaise traduction qui a été faite de Cultural Creatives. Il eut fallu traduire en effet : « créateurs de culture ». Oui, une nouvelle culture est donc en train de naître. Là sous nos yeux donc : c’est cela qui m’est apparu peu avant avec cet improbable lever de rideau. Tout est à inventer. Tout est à créer. Dans cette transition inéluctable, des hommes et des femmes sont déjà les co-créateurs d’une nouvelle culture qui est certainement une nouvelle civilisation comme le rappelle Naomi Klein dans son ouvrage Tout peut changer. N’ayons pas peur des mots.

Il n’est pas anodin qu’une nouvelle culture puisse, à Nice même, se fomenter dans un haut lieu de culture. Le plus légitime des creusets probablement.

Tout à l’heure, ma tête et ma main iront placer un bulletin dans une petite enveloppe, pour ce premier tour des Régionales.

Mais si je dois ajouter mon cœur à ces deux-là, c’est pour Irina Brook que j’ai déjà, localement, choisi de voter.

Crédit photo : Gaëlle SIMON

 

PROGRAMME DU FESTIVAL RÉVEILLONS-NOUS
26 NOV > 13 DEC

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