back in town

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Retour à la page, retour sur le fil…

Chassez l’énervé, il revient au grand galop ! (Je reconnais que c’est tout de suite moins drôle que : « chassez le naturiste, il revient au bungalow »). Bon ben, il faut croire que je n’étais pas assez fatigué. Ou bien que, dans cette année de la cinquantaine, je possède encore une bonne capacité de récupération. Oui, passé la grosse fatigue, l’indignation revient, tel un courant marin qui ne cesse jamais d’être actif y compris sous une mer d’huile. Passé le choc extrême, la peine profonde, un sentiment de colère grand comme ça à l’égard de tous les intégrismes et de leurs racines. Et puis, il y a aussi tous vos commentaires si chaleureux. Si on ne peut plus rentrer dans sa coquille tranquille, où va-t-on nom de Zeus ! Je plaisante : ils m’ont vraiment touché, tous ces commentaires, et je vous en remercie. C’est vrai que vous m’avez bien reboosté là ! J’étais vraiment en passe d’arrêter. Mais finalement quand je disais que je n’ai pas le courage d’un Charb parce que « j’ai une femme, des enfants et même des crédits », je crois c’était, eu égard à mon caractère, la mauvaise façon de raisonner. Car je crois que, si je n’avais pas ces différents liens, affectifs et matériels, je serai justement tenté de… me retirer pour de bon. Plus tard la petite grange dans la montagne donc, plus tard…

Allez, je profite de la nouvelle halte de la caravane du gars Rimbaud un peu avant d’entrer dans le pays Choa (oui, toujours dans la lecture de Rimbaud l’africain de Claude Jeancolas), pour évoquer juste cette vérité paradoxale : l’on n’est parfois jamais aussi près du monde que quand on s’en est retiré. L’on n’est parfois jamais autant en communion avec le vaste monde qu’au plus profond de la solitude. C’est pourquoi, si Dieu me prête vie assez longtemps, je ne considèrerai jamais une retraite digne de ce nom comme un repli, une coupure. Et quant à l’écriture personnelle, je reste dans le même état de défiance. J’avance sur le fil de la page tel un funambule : sur mon ténu filin, je n’enchaîne mots et phrases qu’à pas comptés. En même temps, je ne peux pas faire autre chose qu’avancer sur ce filin, car je ne sais pas faire grand chose d’autre qu’écrire et… contempler. La tentation toujours forte de laisser tomber ce petit jeu d’équilibriste qui serait mon destin. Le fantasme tenace de lâcher l’affaire et de me jeter de mon plein gré dans le vide, enfin débarrassé de ces petits exercices en sujet-verbe-complément. Un vide qui n’est pas vide mais qui est vie. La vraie. Equilibriste malhabile entre fascination pour la « chose littéraire » et addiction au réel.

Un rapport très personnel à l’écriture j’en conviens. Ne pas succomber à la fascination justement : celle de ses propres phrases, de son propre style… Je connais des gens qui ont croisé, lors de ses conférences, le poète et penseur Kenneth White. Un auteur que j’apprécie particulièrement pour son travail sur le nomadisme, forme particulière de liberté. Il semblerait que l’ego du théoricien de la « géopoétique » qui m’a ouvert les portes des Thoreau, Walt Whitman et autres Emerson, n’aurait pas résisté à l’épreuve du succès. Par contre, je ne connais toujours rien de l’homme qui dort chaque nuit avec son sac de couchage et son chien juste à côté de l’Eglise Jeanne d’Arc, à Nice, et que j’ai revu l’autre matin sur la plage de galets, immobile face au soleil qui émergeait de l’horizon. Je ne connais que la profondeur de son regard. Et la digne démarche de sa silhouette fatiguée, en toute saison. Quelles expériences intérieures sont les siennes, qui mériteraient d’être couchées sur le papier ? Ou sur le rocher façon Han Shan ? Voilà, vous le voyez, bien fragile est ma relation à l’écriture. Mais je tente encore quelques pas quelque temps sur mon filin tendu sur l’infini. Je le fais instinctivement, comme une pente naturelle, comme une sente essentielle. Juste avec Christian Bobin pour finir, ce court texte qui fait écho à ce post d’un blogueur défatigué des mots. Pour l’instant.

« J. a été élevé par une mère institutrice qui le retenait dans la classe pour lui donner des cours supplémentaires, quand les autres enfants couraient sous le soleil. Les années ont passé. J. est devenu un intellectuel, c’est-à-dire quelqu’un que sa propre intelligence empêche de penser. Il écrit des livres sur les vagabonds au dix-neuvième siècle, cherchant en vain dans la poussière des archives la lumière qui enflammait la cour d’école à cinq heures sonnantes. » (Christian Bobin, Ressusciter)

 

 

 

Publié par

stephanerobinson

French journalist and copywriter living in Nice (France).

7 réflexions au sujet de “back in town”

  1. Très cher Stéphane, ton retour me comble de bonheur, voilà le Chevalier qui reprend son épée. Ton texte m’a ému, bien évidemment mais surtout l’image du funambule, comme tout ce que tu y associes.
    Mais je ne puis m’empêcher d’élargir le cadre car, pour moi, cette posture va bien au-delà de ton rapport au verbe, la tentation du vide n’est elle pas là, tout court ?
    Sur ce, poursuivons, avec ce regard lucide mais si tendre sur l’humanité, à travers la profondeur du regard de cet homme que tu aurais envie de connaître.
    Alors, addiction à l’écriture ou bien au réel ?

    1. Merci Elisabeth, fidèle lectrice. Allez, pour répondre à ta dernière question, je te propose ce petit tour de passe-passe philosophique : addiction au réel de quelque manière qu’il s’écrive 😉

  2. Ne dit-on pas que la vie ne tient qu’à un fil ?….
    La photo du funambule est magnifique…
    La fragilité du pas qu’elle représente, me fait frissonner…
    En même temps, son courage, son agilité et son équilibre m’émerveillent…

    Ça te ressemble Stéphane …!
    Bon retour parmi nous , sur le fil de la blogosphère …!

    En toute amitié
    Madeleine

    1. Merci Madeleine pour ces mots si encourageants ! Oui, me revoilà donc sur la toile et ses fils enchevêtrés. Des fils qui nous réservent bien des rencontres, bien des découvertes. A suivre donc. Amitiés. Stéphane

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