homo vegetalis

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François Couplan, libre-cueilleur…

Chers amis, bonjour ! Oui, j’ai déserté depuis quelques temps l’incessant  bruissement de la toile, passablement occupé par de nombreuses et accaparantes aventures côté « brick & mortar ». Parmi ces dernières, la réalisation d’un passionnant reportage sur François Couplan qui sortira dans quelques jours dans le numéro d’été du magazine Couleur Nice. Il se trouve que cet homme était dès les débuts de ce blog fortement pressenti pour figurer en bonne place dans ma rubrique Figures de liberté. Faut-il le présenter ?

François Couplan est un ethnobotaniste reconnu actuellement comme l’un des plus grands experts mondiaux des plantes sauvages. Depuis près de 40 ans, il arpente la planète pour inventorier ces dernières et les faire connaître au plus grand nombre. J’avais déjà rencontré le savant-cueilleur il y a quelques années pour un article portrait. Cette fois, il s’agissait de réaliser un reportage axé sur la gastronomie sauvage, savoir-faire pour lui indissociable d’une rencontre authentique avec les plantes non cultivées. Je l’ai retrouvé il y a pratiquement un mois tel que je l’avais rencontré la première fois : simple, accessible, passionné, direct et sans détours. Et bien sûr affublé de son éternel chapeau à plume.

La liberté ? Elle a avec François Couplan une saveur particulière : celle des « mauvaises herbes » qui auraient, au village, bien mauvaise réputation. Car pour François Couplan, notre rapport avec cette foultitude de plantes oubliées dont se délectaient nos ancêtres est faussé de par la valeur symbolique qui leur est attaché. Cela a commencé dès la naissance de l’agriculture : l’apparition des stocks, et les convoitises qu’ils suscitaient, allait segmenter les communautés humaines en castes dirigées par des seigneurs-guerriers. De la même manière, les plantes sauvages héritaient de façon automatique du statut social le plus inférieur : des plantes gênantes à éliminer. « On s’est mis à cultiver de l’orge pour se bourrer la gueule » me dit-il dans un rire comme pour appuyer cette dimension symbolique sans ambiguïté.

Ce que j’aime chez cet homme à l’œil vif, c’est la totale indépendance d’esprit, le regard iconoclaste. Comme votre serviteur, François Couplan est un autodidacte tendance rebelle. Comme moi, il est passé par la case prépa scientifique. Lui s’est fait virer de maths sup en mai 68, moi c’était en 85. La comparaison s’arrête là. Car il y a autodidacte et autodidacte. François Couplan est diplômé de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE), Docteur es-Sciences du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris et Doctor of Science en Grande-Bretagne.

La liberté à laquelle nous invite surtout François Couplan c’est celle qui nous permet d’évoluer dans la nature sauvage, non pas selon un rapport de lutte mais d’harmonie telle que le permet la connaissance essentiellement pratique de cet écran vert que nous voulons sauver depuis nos ordinateurs. Les stages de gastronomie sauvage et de survie douce qu’il organise régulièrement dans ses centres de formation constituent une traduction concrète de cette thèse. On y découvre ainsi les plantes selon une « approche systémique et sensorielle ».

L’indépendance chez François Couplan c’est oser dire cette chose fort peu politiquement correcte que même dans l’agriculture bio, on reste dans une relation de domination avec la nature. Le paysan ne veut voir qu’une seule tête dans son champs, qu’il utilise ou non des intrants chimiques. Etrangement, dans les villes, la tendance est au foisonnement et à l’anarchique (voir mon post herbes folles)… Ni extrémiste ni passéiste, François Couplan milite pour une agriculture consciente : il a grandement contribué à l’émergence et au développement de la permaculture (mot-valise associant permanent et agriculture). De même, François Couplan fustige-t-il sans complaisance la mode de la « cuisine sauvage » qui, du fait de l’inertie des grands chefs et plus particulièrement des « moléculaires », est davantage une affaire de communication que de cuisine digne de ce nom. « La mode actuelle c’est surtout un joli saupoudrage de plantes » me lâche-t-il visiblement agacé par cette approche en surface. L’homme qui a cosigné L’Herbier Gourmand avec Marc Veyrat sait de quoi il parle…

La liberté chez François Couplan est aussi d’un registre spirituel. « Chacun, quand il vient sur Terre devrait se poser la même question : qu’est-ce que je viens faire ici ?  Mais non, l’homme s’est trouvé de bons subterfuges pour éviter d’affronter cette question essentielle : le consumérisme, les religions… Selon moi, les plantes apportent quelques éléments de réponse. Quand tu regardes les plantes, tu te dis j’ai tout ce qu’il faut. Je peux les assimiler, les écraser… Elles s’en foutent. C’est un peu comme la parabole du Christ justement : « regardez les lys dans les champs… ». Le message est : oublie-toi et va vers les autres. Le problème c’est que les humains ne savent être qu’avec des humains. Tu vois, c’est un peu ça mon job : faire prendre conscience qu’il y a d’autres êtres vivants… Et qu’il faut les respecter. »

Ce soir-là, en quittant le centre de formation du Haut-Ourgeas, au cœur des Alpes de Haute-Provence (pour les niçois : Barrême est sur le trajet du petit train des Pignes depuis la Libé), je repense étrangement aux états d’âme d’un certain Castaneda, tiraillé entre le rationalisme obligé de l’anthropologue et la « pensée magique » de Don Juan. Deux portes d’accès à la connaissance si différentes ! Il me semble tout d’un coup, à bien considérer l’homme qui connaît le nom latin de chaque herbe insignifiante qui nous entoure, et qui ferme les yeux en mâchonnant des « limbes », l’homme qui « ne fait pas de de différence entre le matériel et le spirituel », qu’il n’y a finalement aucune antinomie entre les deux. En visualisant cet homme de petite taille qui se fond dans le végétal comme un Guillaume Néry se fond dans les profondeurs océaniques, je me demande si François Couplan n’est pas une sorte de savant-chaman…

Crédit photo : Jean-Marc Nobile